Crédit photo : Flickr (Georges De Valkeneer)
Crise du lait, crise de la viande, crise des éleveurs, effondrement des cours du porc…L’agriculture française apparaît souvent, dans le débat public et les média, au travers du prisme catastrophiste. Sans minimiser ses difficultés ni les situations dramatiques vécues par de nombreux producteurs et paysans, l’agriculture française reste cependant une force économique de premier ordre, et dans sa globalité affiche de robustes résultats. En 2015, elle a dégagé un excédent commercial de 9 milliards d’euros, soit trois fois plus que la pharmacie. Seuls l’aéronautique et la parfumerie-cosmétique-chimie ont fait mieux. C’est qu’au sein d’un ensemble agricole très hétéroclite, beaucoup parviennent à tirer leur épingle du jeu, soit – comme les céréaliers ou les sucriers – en maîtrisant l’arme des volumes face à une concurrence mondialisée et indexée sur les cours boursiers, soit en misant sur une production à forte valeur ajoutée et/ou sur des marchés de niche. Parcours France a visité certains de ces oasis de prospérité agricole.
Première étape de notre périple : le Lot-et-Garonne, qui retrouve une belle verdeur grâce à la noisette.
Longtemps, le Lot-et-Garonne a fondé la prospérité de ses vergers sur deux fruits stars : la prune et la fraise. Mais ceux-ci sont aujourd’hui victimes d’une féroce concurrence. L’Espagne produit en masse des fraises low cost qui, même insipides, attirent les petits budgets. Côté prune, les États-Unis et le Chili mettent sur le marché une production abondante, qui maintient les prix à un niveau assez bas. Heureusement, le Lot-et-Garonne peut s’en remettre aujourd’hui à une valeur montante de l’agriculture : la noisette. Le département produit environ 8 000 tonnes par an, soit 98 % de la noisette française. Et il «surfe» sur un marché mondial en pleine croissance, qui tire les cours du petit fruit à coque vers le haut. La consommation des industriels augmente de 2 à 3 % chaque année, et celle du groupe Ferrero, leader mondial de la confiserie, fabricant du célèbre Nutella, d’environ 8 % par an. A lui seul, le géant italien consomme chaque année le quart de la production mondiale de noisettes.
La filière lot-et-garonnaise est l’une des plus performantes au monde
Certes, avec ses 8 000 tonnes annuelles, la France – donc le Lot-et-Garonne – est encore loin derrière la Turquie (800 000 tonnes) et l’Italie (120 000 tonnes), les deux premiers producteurs mondiaux. Il n’empêche que la filière lot-et-garonnaise est l’une des plus performantes au monde, avec une mécanisation poussée des récoltes, des rendements de 3 à 4 tonnes par hectare, deux fois plus élevés que ceux de la concurrence internationale, et un coût de production unitaire parmi les moins élevés du marché. Une bénédiction pour les clients industriels, en quête de diversification de leurs sources d’approvisionnement, échaudés par les accidents climatiques – gel et grêle – qui avaient plombé la production Turque, en 2014, et provoqué une flambée des cours noisetiers.
3800 hectares de vergers noisetiers, en expansion de 6,5 % par an
Crédit photo : Flickr (Peter Trimming)
Pour tirer pleinement parti de cette situation favorable, les cultivateurs du département se sont organisés au sein d’une coopérative, Unicoque, basée dans la commune de Cancon, qui emploie 65 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 34 millions d’euros, dont 60 % à l’export. Les quelques 290 producteurs de noisettes membres d’Unicoque – auxquels s’ajoutent 40 producteurs de noix – exploitent aujourd’hui 3 800 hectares de vergers – 550 hectares pour la noix – en augmentation de 250 hectares chaque année. «Chez Unicoque, il n’y a pas un producteur qui ne parvient pas au standard de production, car nous les accompagnons dans leur projet. Notre maîtrise technique est une garantie pour l’avenir», souligne Jean-Luc Reigne, le directeur général d’Unicoque.
Parmi les éléments constitutifs de cette excellence technique : la plantation des vergers est réalisée dans 60 % des cas à la machine, avec une mise en place d’un système d’irrigation, en goutte-à-goutte enterré, dès la première année. «Nous veillons à optimiser le pilotage de l’irrigation des vergers pour apporter avec précision les quantités d’eau nécessaires à chaque date du développement des arbres et des fruits. Le service technique d’Unicoque communique ses préconisations d’irrigation tous les trois jours en les déclinant par variété, par tranche d’âge de verger, type d’irrigation et petite région agricole», précise Gwenaël Salaün, expert irrigation du service irrigation d’Unicoque. Bien au delà de son rôle de collecteur-distributeur, Unicoque se conçoit ainsi comme une plateforme d’expertises et de services qui permet d’homogénéiser et d’optimiser la qualité des fruits.
«Chez Unicoque, il n’y a pas un producteur qui ne parvient pas au standard de production, car nous les accompagnons dans leur projet» – Jean-Luc Reigne, directeur général d’Unicoque
Les exploitation du Lot-et-Garonne sont également réputés pour leur diversité. Chaque verger produit trois variétés de noisettes : une variété très précoce pour l’industrie, une variété de précocité intermédiaire pour l’industrie ou le marché de la noisette en coque, et une variété tardive pour le marché coque. Les coopérateurs lot-et-garonnais expérimentent aujourd’hui des vergers à 5 variétés. «Dans ce cas, on double les variétés destinées à la coque et à l’industrie, on conserve les variétés intermédiaires et on étale les précocités», souligne Jean-Luc Reigne.
L’objectif : capter 3 % du marché mondial à l’horizon 2030
Crédit photo : Flickr (Phoenix Wolf-Ray)
Fort de ces avantages concurrentiels, le noisetier de Lot-et-Garonne regarde vers le ciel. Événement rare dans l’agriculture française : Unicoque a annoncé, en août 2015, un investissement de 200 millions d’euros sur 15 ans, en vue de tripler sa production de noisettes à l’horizon 2030 et de capter 3 % du marché mondial, contre 1 % aujourd’hui. La coopérative espère notamment agrandir de 400 hectares par an, au lieu de 250 aujourd’hui, la surface de ses vergers. Et ainsi accélérer sa trajectoire ascendante. Créée en 1979, par des pruniculteurs en mal de diversification, Unicoque entend bien faire un peu d’ombre aux géants turcs et italiens de la noisette.
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